Partis en Inde le mois dernier, Anne nous fait l’offrande de ce billet (que j’ai du réduire) et Fabian de la photo qui l’accompagne. Merci à tous deux.
De l'Inde je ne connaissais vraiment que le Kerala, et le sourire éclatant de gentillesse qui répondait au mien, la douceur et la profondeur des regards qui offraient sans crainte le chemin qui mène à la source du coeur. Aujourd'hui je découvre le Radjasthan. Les femmes ici sont à la fois petites comme de toutes jeunes filles et majestueuses comme des reines. Et je me suis interrogée sur le long voile qui les enveloppe. Et ce n'est qu'au bout de plusieurs jours de déception et de frustration, que j'ai pu apprendre, par gestes, rires et sourires, son secret.
Ces redoutables magiciennes en usent avec un art consommé qui se transmet de mères en filles. Entièrement sur le visage, il protège du vent, de la poussière, des regards indiscrets. À moitié ouvert, parfois retenu entre les dents, il ne laisse apparaître qu'un oeil noir de khôl, et fait encore plus désirer le visage tout entier. Et si la Radjapoute est lassée de son interlocuteur, elle ramène le voile et se retire à volonté derrière ce léger, mais inviolable rempart.
Nous avons pour nous-même dépassé bien des limites imposées autrefois par l'éducation et la tradition. Nous nous réjouissons avec raison d'une liberté de parole et d'expression auxquelles nous ne pourrions renoncer. Nous n'hésitons pas à confier l'intimité de notre vie amoureuse ou intérieure. Du silence emmuré de nos parents et grands-parents, nous voici passés à la parole libérée de toute entrave, parfois de toute pudeur.
Alors, sans chercher à devenir ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne serons jamais, pourquoi ne pas réfléchir, ne fut-ce qu'un instant, à ce que peuvent nous révéler ces voiles mouvants qui tremblent sur le visage de ces femmes ? Peut-être pourrions-nous apprendre d'eux qu'il n'est pas toujours utile de révéler au grand jour ce qui demande de l'ombre et de la discrétion ? Que le mystère de l'autre autant que de soi-même, a besoin de protection, de solitude et de silence ? Le numineux, le sacré, et je me permets de croire que le féminin en est particulièrement riche, demandent à être voilés, pour donner accès à l'ultime grotte du coeur.
Je vous écris ces lignes dans la douceur du crépuscule indien. Des aigrettes blanches viennent de se poser sur les branches des arbres qui bordent le jardin. Il paraît que la nuit dernière une panthère se promenait dans les bosquets. Vraiment, l'Inde est le pays de nos rêves d'enfants.
3 commentaires:
L'inde , le pays qui compte tellement pour moi , dont j'aime tant la musique traditionnelle , la sculpture et surtout ...sa philosophie !
Je me sens solidaire du témoignage d'Anne , en particulier de sa conclusion .
Mais , s'agissant du voile , sujet brûlant en France ces dernières années , je crois qu'il ne faut pas confondre le voile des Indiennes avec celui qu'on voit aujourd'hui si souvent dans les rues ici .
Autant je me sens complice de l'Indienne qui utilise son voile selon son humeur du moment , en toute liberté , autant je souffre du voile musulman , souvent synonyme de l'inégalité de l'homme et de la femme , devenu aussi un symbole plus politique que religieux .
Merci pour ce beau témoignage.
Je viens de voyager sur un continent nouveau (encore) en lisant tes lignes
Voile qui souligne et abrite ;
voile qui raconte et ne dit pas...
Un texte de toute beauté, qui me rend fière d'être femme.
Merci, Anne.
Isabelle
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